Pascal Lièvre
intervenant
Le Défilé philosophique
performance-objet
Je tente de définir une performance-objet qui puiserait notamment ses sources dans la sculpture, une performance qui activerait le travail de Constantin Brancusi ou Bertrand Lavier pour créer un geste sculptural avec un soclage performatif. À la manière de Bertrand Lavier posant son frigidaire sur un coffre-fort, je pose la philosophie sur des socles issus de la culture populaire, par exemple l'aérobic ou le défilé de mode. C’est un geste sculptural constitué d’une économie de moyens. Je pose des choses les unes sur les autres avec, comme condition préalable, une égalité parfaite entre tous les objets.

Le Défilé philosophique, 2015
Si nos corps sont normés par les savoirs qu’ils performent de la naissance à la mort, en quoi diffèrent-ils du corps du performeur qui se met en scène? C’est l’une des questions à laquelle je tente de répondre en créant des situations dans lesquelles des corps performent des savoirs. Mes aérobics, mes yogas philosophiques proposent, en effet, de vivre une expérience soma-esthétique collective c’est-à-dire d’associer la théorie à la pratique corporelle et de privilégier le rôle de l’expérience dans la constitution des concepts.
Le Défilé philosophique raconte une histoire du corps sous la forme d’un défilé de mode. Comme un cours de philosophie sur le corps tel qu’il se définit dans la philosophie occidentale des Lumières à la fin du XXe siècle, soclé et acté sur un catwalk. Onze garçons en talons et une fille pieds nus — tous vêtus d’un slip blanc brodé du nom d’un philosophe — défilent, une pancarte à la main, sur laquelle on peut lire une phrase de ce philosophe au sujet du corps. On commence avec Descartes qui compare le corps à une machine et on termine avec Judith Butler qui affirme que le corps est un lieu depuis lequel on performe le genre. Ces corps performent une histoire du corps qui se définit lui-même comme performatif.

Le Défilé philosophique, 2015

Le Défilé philosophique, 2015
Si tous les hommes portent des chaussures à talons, c’est pour modifier leur manière de marcher. Souligner ironiquement que la philosophie était l’affaire principale des hommes pendant des siècles, et qu’elle change aussi en accueillant depuis peu les femmes. Là encore, peu de moyens sont déployés: douze pancartes sur lesquelles sont collées les slogans, de la musique et douze slips brodés que je promène dans ma valise partout où je passe.
Je demande toujours à la structure qui m’invite de trouver les douze actants, sous forme d’annonces relayées par les réseaux sociaux ou amicaux. Je travaille avec tous ceux qui le demandent, sans critères d’âges, de taille ou de poids, jusqu’à trouver les douze actants. Ainsi chaque défilé diffère du précédent, ce sont les corps qui le constituent qui le transforment, car ces corps sont toujours différents.
Genre, propriété, catégorisation. Je dénonce ce qui, sous-couvert de former un commun partagé, instaure un découpage sclérosant, délétère pour l’autonomie des œuvres, la circulation des idées, l’affirmation des formes et des corps.